Conférence perspectives de la déshumanisation

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Écrit par Michel Taccola

« l’IA va-t-elle impacter 95 % des métiers existants ? »

L’incubateur Belle de Mai et Marseille innovation se sont réunis, dans le cadre de leur conférence annuelle, pour se pencher sur l’impact des nouvelles technologies sur notre société. Intelligence artificielle, robotique, automatisation, numérisation, quelle est la place de l’homme, de son travail, à l’ère où ces technologies s’additionnent dans un élan exponentiel de plus en plus rapide ?

World Café
Le World Café

Pour y répondre, chercheurs et entrepreneurs sont venus apporter leurs témoignages, leurs expertises. Mais aussi se confronter à toutes les questions que ne manquent pas de poser ces bonds technologiques. Notamment les réflexions issues du World Café, qui s’est déroulé en amont de la conférence, desquelles ont émergées des préoccupations souvent d’ordre éthique.

La conférence s’articule autour de trois plateaux, trois thèmes cruciaux triturés par cinq intervenants spécialistes dans leurs domaines ainsi que par Julia Santi, journaliste économique et animatrice des débats. Cette dernière attaque d’emblée dans le vif du sujet en évoquant le rapport Mc Kinsey. Citant notamment cette affirmation un peu choc des économistes : « en France, 40% des emplois pourraient être occupés par des machines d’ici à l’horizon 2025 ». Le décor est planté. Entre craintes et fascination pour ce futur technologique, des éléments de réponses se sont esquissés ce soir là à la Belle de Mai.

« L’IA va accompagner l’homme et non le remplacer »

Olivier Guillaume de O2 Quant
Olivier Guillaume de O2 Quant

Le premier plateau sur le thème « Automatisation, menaces et opportunités » accueille deux jeunes chefs d’entreprises aux activités à priori éloignées mais unies par l’IA et l’innovation numérique. Olivier Guillaume (O2 Quant), qui se présente comme « pro IA » et qui est à la tête d’une jeune start- up spécialisée dans le « Deep Learning » et le « Machine Learning », et Karoly Spy (Innov-training) en incubation à la Belle de Mai, coach sportif.

 Les deux entrepreneurs travaillent conjointement sur une application « intelligente », qui utilise l’IA, dans le domaine du coaching pour les athlètes de haut niveau dans les sports d’endurance. Celle-ci vise à la fois les athlètes et les entraîneurs. Ces derniers peuvent, « passer moins de temps à analyser les séances et ainsi se consacrer à leurs athlètes grâce à l’IA », indique Karoly Spy. Pour les sportifs qui ne peuvent pas s’offrir les services d’un coach personnel, l’application se transforme alors en entraîneur exigeant. Au menu de ce cyber coach : automatisation des programmes d’entraînement et analyse des séances.

Olivier Guillaume met en exergue les possibilités offertes par l’IA pour améliorer la productivité d’une entreprise : « Notre métier c’est de fabriquer des Intelligences Artificielles, on voit avec notre client ce que ça peut apporter. Si on prend l’exemple d’Innov-training, on fabrique une IA qui permet de démultiplier l’activité d’un entraîneur. On fabrique des outils qui améliorent la productivité en utilisant les données des entreprises ». Julia Santi l’interroge : « Est-ce une révolution comparable à l’arrivée de l’électricité ? », réponse du boss d’O2 Quant : « Nous sommes au début d’une révolution. L’arrivée de l’électricité marquait l’évolution physique de l’homme, l’arrivée de l’IA marque l’augmentation cognitive de l’homme. L’IA va accompagner l’homme et non pas le remplacer ».

Karoly Spy
Karoly Spy fondateur d’Innov-Training

 

Pour Karoly Spy, la question ne se pose pas. L’application est née d’un besoin. Celui de gérer plusieurs athlètes, avec pour chacun des dizaines de données relatives à sa préparation. On le voit dans ce cas, l’aide de l’IA dans la gestion des sportifs et de leurs datas, est non négligeable et permet de démultiplier les capacités d’un seul homme. Le métier de coach ne disparaît pas mais se recentre naturellement sur l’athlète et sa mission principale, ainsi délesté d’un fastidieux travail d’analyse. L’humain apportant la touche d’expertise indispensable et indépassable à l’heure actuelle. L’homme ne sera pas remplacé mais augmenté, certains métiers disparaîtront tandis que d’autres surgiront de l’exploration de ces nouvelles frontières technologiques.

Quid de la pénétration de l’IA dans l’ensemble des secteurs de l’économie ? Le patron d’O2 Quant explique les enjeux : « On parle de l’IA parce que les performances sont maintenant au rendez-vous, il y a une augmentation de la puissance de calcul que l’on n’avait pas auparavant. Il y a surtout une augmentation des données que nous produisons. 90% des données que nous utilisons aujourd’hui ont moins de deux ans et 87 % des données existantes ne sont pas exploitées. Le champ d’application est énorme. Partout où l’on a des données, on va pouvoir utiliser l’IA. Donc oui ça va toucher 95% des métiers existants aujourd’hui ;  ils seront améliorés, transformés ». Un discours percutant qu’Olivier Guillaume conclut avec une touche d’espoir : « Avec l’IA, on va vivre mieux et plus longtemps. Grâce aux regroupements des données de santé, et à la médecine prédictive, on va pouvoir reculer l’échéance de notre mort »

« La robotique va rapprocher les gens au lieu de les remplacer »

Frank Anjeaux
Frank Anjeaux de Axyn Robotique

Le deuxième plateau, « l’Homo Numericus, avènement d’une nouvelle ère », accueille deux spécialistes en la matière. Frank Anjeaux (Axyn Robotique) et Marc Hamand (AI Metatronics), sont venus partager leur expérience en tant qu’acteurs au cœur de la révolution robotique. Axyn Robotique développe des robots de service dont Ubbo, son robot de télé-présence. Avec à la clef un marché potentiel immense, tant dans les secteurs du service à la personne, de la dépendance, que de l’apprentissage. Comme le souligne Julia Santi, nous sommes là au cœur de la destruction créatrice qui voit des métiers disparaître et d’autres se créer. Un processus potentiellement anxiogène pour les populations touchées. Pour Frank Anjeaux, les craintes face à cette mutation sont moins présentes dans ce secteur qui souffre d’une pénurie de personnel, notamment chez les aidants. Le tout accompagné d’une augmentation annoncée des personnes âgées. Là encore, cette avancée technologique va transformer le métier et le recentrer vers sa mission principale. Pour le personnel soignant, ce sera moins de tâches répétitives et plus de communication avec le patient. Et le patron de Axyn robotique de conclure : « le robot est accueilli comme un outil qui va permettre un échange plus enrichissant entre les personnes âgées et les aidants. Nous sommes en train de rapprocher les gens au lieu de les remplacer ». Et ce dernier de citer l’exemple de UBBO, le robot de télé-présence déjà en activité dans des maisons de retraite médicalisées qui permet « de communiquer comme Skype, mais avec un degré d’autonomie supplémentaire qui est le mouvement. On peut naviguer comme on le souhaite. Cela résout nombre de problématiques comme la présence de la famille auprès des personnes âgées mais aussi cela permet à un enfant malade de pouvoir se rendre dans la classe et de se rendre dans la cour discuter avec ses amis. Cela permet un lien social beaucoup plus fort que s’il avait un éducateur à la maison ».

Marc Hamand
Marc Hamand d’Exoglove

Marc Hamand présente Exoglove, un exosquelette de main initialement conçu pour désenclaver les salles de soin surchargées. Les pathologies de la main nécessitent une longue rééducation, entre six et dix mois, ainsi qu’une intervention parfois pluriquotidienne. L’outil permet de reproduire les mouvements d’un praticien lors des séances de rééducation. Le praticien peut suivre la rééducation qu’effectue le patient à son domicile en étant débarrassé des gestes simples et répétitifs pour se concentrer sur l’évolution de la guérison.  Des perspectives déjà alléchantes mais ce n’est pas tout comme l’explique Marc Hamand, « Au cour des développements, on a vite compris qu’Exoglove c’est beaucoup plus que ça, c’est une plateforme de contrôle pour des outils robotiques ou de réalité virtuelle. Et c’est là qu’il a pris toute sa force ». Associé à la réalité virtuelle, il devient possible d’interagir avec un environnement réel comme virtuel, jusqu’à avoir la sensation de toucher.

« Faire de la prospective sur la technologie existante pour penser le futur »

Charles Talbot
Charles Talbot de LICA

Troisième plateau avec le dernier invité Charles Talbot, du Laboratoire d’Intelligence Collective et Artificielle (LICA), venu discourir sur les « perspectives de la déshumanisation». Un mot qui fait peur s’il n’est pas pris dans son sens propre, c’est-à-dire le fait que l’élément humain sera de moins en moins prépondérant dans la production de richesses à l’avenir. Un point que l’on retrouve dans le fameux rapport Mc Kinsey qui prédit que 40% des emplois à l’échelle mondiale sont susceptibles d’être remplacés par des machines en 2025. « C’est demain », note Charles Talbot. Et ce dernier de poursuivre, « Si vous faîtes l’addition entre les nouveaux métiers et ceux qui vont disparaître, on tend vers une création de vide ». Quid de la place de l’humain ? demande fort justement Julia Santi. « Avec l’IA ou le numérique, il y a un gain de productivité. La question est, au bénéfice de qui ? Est-ce que cela va bénéficier à l’ensemble de la population, ou à une partie, à une firme, une multinationale ? Ce sont des vraies questions. Je pense aussi à tous ces étudiants aujourd’hui qui sont formés à un métier qui potentiellement deviendra obsolète demain, cela pose le rôle de l’éducation. C’est le but que nous nous sommes fixés au LICA de repenser la société dans une perspective éthique et inclusive. Que va-t-on faire de ce temps libre dégagé par le travail des machines ? C’est une opportunité que l’on doit saisir, on a la chance de pouvoir travailler sur le futur souhaitable. Pour cela, il faut faire de la prospective sur la technologie existante pour penser le futur. C’est-à-dire avec les données que l’on a : disparition de l’emploi, gain de productivité, distribution de richesses, penser de manière inclusive ».

Charles Talbot apporte une approche pluridisciplinaire, prenant en compte chaque facteur, en plaçant l’humain au centre et incluant le progrès technologique. C’est en tout cas une bonne voie pour anticiper les questions que tout le monde se posera demain. Et donc être en mesure d’y répondre. Un défi qui commence dès aujourd’hui, déjà relevé par les intervenants de la conférence et dont le grand public devra se saisir tôt ou tard.

Conférence 2017
Les intervenants de la conférence

    Retrouvez ici la conférence en vidéo

Michel Taccola

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