Saïd Hadjiat (Calea), « Nous inventons la messagerie de demain »

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Écrit par Michel Taccola

Oubliez tout ce que vous pensez savoir sur le SMS et la messagerie instantanée. Les marseillais de Calea ont transcendé ces deux supports avec l’application Mood Messenger. Son créateur Saïd Hadjiat, évoque avec nous le parcours de cette startup marseillaise qui a réalisé une levée de fonds de deux millions d’euros.

Mood Messenger, l’appli marseillaise qui défie Snapchat et Viber

D’abord quelques chiffres pour planter le décor. Mood Messenger, ce sont 700 000 utilisateurs actifs et 2 millions de téléchargements à ce jour. Avec un taux de rétention (c’est-à-dire le taux d’utilisateurs qui ne désinstallent pas le programme) qui se positionne parmi les 50/100 premiers aux côtés de géants comme Viber et Snapchat. Le tout parmi une concurrence de plus de 2 millions d’applications disponibles sur le store. De « très bons résultats » de l’avis de Saïd Hadjiat, qui permet à Mood Messenger de rentrer dans le cercle très fermé des « 1,75% » des applications les plus téléchargées au monde.

A l’origine, une idée toute simple que le père de deux adolescentes (Calista et Léa = Calea) a eu en les observant pianoter sur leur smartphone. « Je constate que les émojis sont très populaires quelle que soit la langue, la culture, l’âge. C’est un langage universel qui est en plus efficace pour exprimer le second degré. Par contre, le processus de sélection est long et fastidieux pour les 1400 émojis. Donc je me suis dit, il faut simplifier tout ça, et la première chose qui me vient à l’esprit c’est l’écriture prédictive ». L’écriture prédictive qui propose un émoji pertinent en fonction du mot que l’on tape. L’idée était lancée. Pour la développer, le futur patron fait appel à un ami, Olivier Lhermite, une « Rock star du jeu vidéo », qu’il débauche chez Ubisoft, le célèbre éditeur de jeux pixelisés.

La maquette en poche, il faut maintenant convaincre les investisseurs. Pour cela, une arme secrète : l’émoji « brandé »(aux couleurs d’une marque). Un moyen non intrusif pour les marques de pénétrer le monde des messageries SMS. En 2014, la jeune équipe intègre l’incubateur Belle de Mai et fait sa première levée de fonds, un passage « très certainement déterminant », nous confie Saïd.  « C’est arrivé pile au bon moment. D’abord ça nous a apporté des fonds, le plus important. A côté de ça, il y avait des réunions régulières dans lesquelles nous devions faire état de nos avancements, ça oblige à formaliser beaucoup de choses, à penser stratégie.  C’est une excellente démarche qui permet de mettre en lumière les erreurs, les points faibles. Et quand tu as la tête dans le développement, c’est bien, ça force à la rigueur ».

 Le meilleur du SMS et de la messagerie instantanée

 En septembre 2015 une première version du programme est crée, principalement pour tester la technologie d’écriture prédictive. « Nous voulions la vendre aux autres messageries. Ces dernières sont dans un contexte incroyable : elles ont une énorme audience mais sont dans l’impossibilité de gagner de l’argent avec des publicités classiques. » Impossible en effet d’insérer de la pub dans les messages sans que cela soit perçu comme intrusif par les utilisateurs.

Pourtant rapidement, la question de se retrouver en concurrence frontale avec les géants de la messagerie instantanée comme WhatsApp ou Viber oblige l’équipe à réajuster le projet comme l’explique Saïd: « La mécanique que nous avions en tête, c’est de prendre tout ce qui est bon dans l’expérience de messagerie instantanée pour le mettre dans le SMS. On a pris une appli SMS et on fait tout ce qu’il fallait pour qu’à l’usage ce soit le même type d’expérience qu’avec une messagerie instantané. Ce n’est pas une application supplémentaire à installer, elle va remplacer la messagerie SMS standard qui est très sommaire et il est possible de communiquer avec tout le monde y compris ceux qui ne possèdent pas l’appli ». Mood Messenger était né. « Nous inventons la messagerie mobile de demain. Nous considérons que c’est l’évolution naturelle du SMS », résume–t-il.

 « Dés le début, nous avons beaucoup écouté les utilisateurs, nous n’avons jamais rompu le lien avec eux. Et ça a été décisif ». Le soin apporté à l’expérience utilisateur a été déterminant pour se démarquer dans le flot de la concurrence. Et, celle-ci est rude : 85 % des applications lancées sur le marché ne dépassent pas les 50 000 téléchargements. Pour Mood Messenger ce cap a été atteint en 4 semaines seulement. Le double un mois plus tard. C’est en moins d’un an que le cap fatidique du million de téléchargements a été franchi. Reste maintenant le graal, celui des 5 millions, l’ultime plafond de verre qui, mécaniquement ouvre toutes les portes.

Première levée de fonds de deux millions d’euros

Première levée de fonds en juin 2016. « Au début on voulait lever 400 000, puis on est monté à 500 000, puis 1 million, puis 2 millions. » Pas facile pour une start-up marseillaise d’approcher les fonds d’investissements parisiens, analyse Saïd qui considère que rester à Marseille est de « l’activisme » : « Je préfère y arriver à Marseille parce que nous avons mis la barre plus haut, plutôt que de me monter à Paris. Il y a beaucoup d’initiatives dans la région, ça bouge, mais les fonds sont tous dans la capitale. Ils se connaissent, ils avancent ensemble. Quand tu arrives de ta province ce n’est pas facile. Pourtant si on regarde ce qui se passe aux USA, on constate que la proximité géographique entre start-ups et fonds d’investissements est essentielle ».

Ironie de l’histoire, sur tous les fonds d’investissements contactés, celui qui répondra à l’appel est le seul qui n’est pas basé à Paris. « IXO a mis 2 millions sur la table en deux tranches. Ça nous a permis de recruter. Nous étions quatre au début, maintenant nous sommes dix-huit. On a stabilisé le recrutement jusqu’à la fin de l’année et après il y aura une prochaine vague. La prochaine levée de fonds, entre septembre et mars, va nous permettre d’embaucher du monde. 85% de nos moyens financiers sont utilisés pour la ressource humaine. »

Au cœur de la « bataille » des messageries

Les chiffres sont là, mais très vite la start-up doit trouver de nouveaux relais de croissance, « Les chiffres étaient bons mais ça génère de l’utilisateur pas de l’argent ». Et ces relais, ce sont les opérateurs et les fabricants de smartphones. Ceux là même qui ont le plus pâtit des messageries instantanées. Les marseillais se penchent alors sur le problème.  « Nous nous sommes posé la question de savoir pourquoi les messageries sont plus utilisées que le SMS. La réponse est essentiellement une question de fonctionnalités. L’offre est plus riche avec la messagerie instantanée, également plus propice aux conversations, tandis que le SMS c’est de l’usage ponctuel ». Très vite l’équipe réalise le potentiel encore inexploité que représente la bonne vieille messagerie SMS : « C’est un tiers de l’audience, et la deuxième utilisation après le jeu. La bataille d’aujourd’hui, c’est comment gagner de l’argent avec. Le marché est énorme avec 3 milliards de smartphones en circulation ».

Mood Messenger possède tous les avantages d’une messagerie instantanée sans être en concurrence avec les géants du secteur. Très bien notée sur Google Play, l’appli dispose d’une vraie expérience utilisateur. Reste à monétiser cette audience, pour cela Saïd a une idée révolutionnaire : faire de l’émoji une porte d’accès aux services du Web : « Actuellement, à chaque besoin répond une application spécifique. Il y autant d’applications que de services ou de contenus. Aujourd’hui la clef c’est la messagerie. L’idée est de pouvoir accéder à ces services en passant par un émoji. Par exemple, en tapant le mot restaurant il s’affiche un émoji interactif qui propose les établissements aux alentours. Il est ensuite possible d’effectuer une réservation et de la partager avec son interlocuteur sans quitter la conversation ». Cerise sur le gâteau, il suffit d’utiliser les API de programmes existants pour toucher une commission grâce à l’affiliation.  « C’est un modèle économique intéressant car il n’y a rien à négocier, c’est l’API, ça se fait automatiquement. Ils reçoivent une requête qui vient de chez nous et ils nous font un chèque. Le levier de ce modèle économique, ce n’est pas le nombre d’utilisateurs, mais le nombre de messages ».

A terme, quatre émojis de ce type sont prévus : il sera possible outre les restaurants, d’acheter des billets de concerts ou de cinéma, d’envoyer un Uber par SMS ou encore de partager une chanson de Spotify.

Calea se pose en alternative à Google

Mais l’arrivée d’un poids lourd dans le marché de la messagerie pourrait relancer la bataille. Le géant Google a récemment imposé l’utilisation d’un nouveau protocole à tous les opérateurs et fabricants : le RCS, appelé à remplacer le SMS. Le RCS pour faire simple, c’est l’équivalent de i Message d’Apple et se présente comme un super SMS aux fonctionnalités élargies (possibilité d’échanger tous types de documents, y compris interactifs, discussions de groupe, statistiques précises, pas de limites de caractères…). L’arrivée d’un tel mastodonte dans la partie n’impressionne pas pour autant Saïd Hadjiat, « on pourrait se dire que ça va nous tuer, c’est en fait une bénédiction. Plus besoin d’expliquer l’enjeu majeur de l’appli SMS, Google a fait tout le boulot « d’évangélisation » en un mois », explique-t-il avec humour.

De plus, c’est une opportunité pour Calea, de se présenter en rempart contre les appétits dévorants du géant de Mountain View, « Google essaye d’imposer sa technologie aux fabricants et opérateurs, et encore une fois c’est lui qui va récupérer les données. Nous sommes en train d’intégrer RCS, et à la fin de l’année nous allons pouvoir proposer la seule alternative en client RCS qui soit disponible pour les opérateurs et les fabricants ».

La bataille pour le contrôle de la messagerie ne fait que commencer, mais chez Calea, en bons marseillais, « on craint dégun », même pas Google.

Michel Taccola

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