Laurent Henocque (Keeex), «On a une ambition dévorante, devenir un acteur mondial des données sécurisées.»

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Écrit par Michel Taccola

C’est au retour du prestigieux Consumer Electronic Show de Las Vegas que nous retrouvons Laurent Henocque, fondateur et dirigeant de Keeex, (prononcer Key X en anglais). Plus préoccupé par son emploi du temps surchargé que par le « Jet lag », ce dernier trouve néanmoins un moment pour nous accorder un entretien. Pour les « noobs » (novices), le CES, c’est un peu le Festival de Cannes du monde digital. Parmi les rares élus, les start-ups les plus innovantes du monde du numérique, et bien sûr : les frenchies de Keeex. L’occasion pour nous de recueillir ses impressions à chaud, mais aussi d’aborder le côté révolutionnaire de la Blockchain et des produits Keeex.

Au commencement était le verbe, le Web sémantique

Si aujourd’hui Keeex ambitionne rien de moins que de devenir un acteur mondial de la certification de données, tout démarre selon son fondateur Laurent Henocque. d’une idée, ou plutôt d’un besoin : « En 2006, j‘ai participé à un groupe de travail du W3C sur le web sémantique où l’on a proposé un standard pour un langage de bas niveau SAWSDL. A l’époque il y avait une dispute pour savoir quel langage utiliser pour faire du web sémantique. Je savais que la vraie problématique c’était la confiance. Il fallait que deux programmes à distance sachent qu’ils sont en train de consulter et d’utiliser la bonne base de données. L’idée est venue comme ça, d’une problématique  de confiance  dans le Web sémantique avec une technologie qui chaîne les données entre elles. C’est exactement comme la Blockchain où chaque bloc pointe vers le bloc précédent. Donc Keeex est une technologie qui crée une Blockchain de données » .

Polytechnicien, chercheur en Intelligence Artificielle, et Web Sémantique (1), le parcours de Laurent Henocque ne le destinait pas forcément à se lancer dans le monde de l’entreprise à la tête d’une start-up : « Je suis chercheur en IA au départ. Keeex n’était pas mon domaine de recherche, j’enseignais l’interface homme machine », explique-t-il. En tant qu’enseignant-chercheur au Laboratoire des sciences de l’information et des systèmes, c’est un habitué des bibliothèques Open Source dans le cadre de ses recherches : « Je savais que j’avais une idée extraordinaire entre les mains et je me suis demandé ce qu’il fallait faire de Keeex. L’idée était tellement simple que si je l’avais fait connaître elle aurait très vite été économiquement utilisée par tout le monde ».

Puis vint la crise de 2008 et son cortège de mauvaises nouvelles économiques pour les entreprises françaises. Une situation qui interpelle le futur patron qui décide d’utiliser son brevet pour « créer de la valeur économique et des emplois en France. Il y avait une motivation un peu boy scout dans ce projet qui m’a fait sortir de l’université », confesse-t-il.

Du 37 rue Guibal 13003 à Eureka Park Las Vegas

C’est animé de cette détermination qu’il se lance dans l’aventure. Mais comme une bonne idée ne fait pas forcément une entreprise florissante, Laurent henocque se rapproche des acteurs du monde de l’entreprise et de l’incubateur Belle de Mai : « En 2013, j’ai rencontré Morgan Dinkel et on a intégré l’incubateur pendant l’été, avant la création de la société. L’accompagnement a joué un rôle très important. Je n’étais pas entrepreneur, Il a fallu tout apprendre. J’ai eu beaucoup de coaching de la part de l’incubateur, et de chefs d’entreprises qui ont été bienveillants avec moi. J’ai vite rejoins les clubs d’entreprise régionaux, le CIP  Méditerranée, medinsoft, le pôle SCS.  Il y a une dynamique très bienveillante de l’écosystème régional. Cela n’aurait pas été possible sans tout ça. La SAT  a amené beaucoup de financements, des avances remboursables comme l’incubateur qui nous ont mis le pied à l’étrier. »

Le résultat ne se fait pas attendre, trois ans après sa création, Keeex est appelé pour figurer au saint des saints du numérique : le CES de Las Vegas.  Parmi les 257 français présents dans les allées d’Eureka Park  (sur environ 600 participants au total), la jeune start-up ne passe pas inaperçue :

« Comme on était la seule Startup Blockchain visible sur le salon, ça a attiré des gens directement sur notre stand, et nos produits ont reçus un très bel accueil » analyse Laurent henocque. « Ce qui a été le plus surprenant c’est que l’on a rencontré surtout des sociétés françaises. On a plus d’une centaine de contacts qualifiés venant du CES. Plutôt français, massivement. Mais également venant de l’étranger, de l’Amérique du sud, des États Unis… ».

Parmi les « solutions de confiance Blockchain » proposées, c’est une en particulier qui est mise en avant par l’entreprise : « On était à Las Vegas essentiellement pour l’application ColletandProof (Ex : Photoproof) qui permet de prendre des photos probantes avec preuve de date sur Bitcoin. Elle illustre de manière éclatante la possibilité technique d’intégrer la Blockchain dans des usages du quotidien ».

Blockchain, la révolution qui vient

Blockchain, le mot a été dans toutes les têtes en 2016, suscitant promesses, attentes, et aussi inquiétudes. Cette « chaîne de données » fonctionnant comme un gros livre de compte inaltérable est apparue en 2009 avec le Bitcoin, dont elle forme l’architecture. Cette technologie permet de produire des documents certifiés, inaltérables et sécurisés. Les domaines d’applications sont nombreux. Potentiellement tout fichier ayant besoin d’une preuve, date d’écriture, signature, horodatage.

Keeex propose un ensemble de solutions pour profiter de tous les avantages offerts par la Blockchain : « On permet de faire du bulletin de paie dématérialisé. On permet de gérer des contrats de manière probante. Ça touche tout le monde, on est vraiment fournisseurs de solutions extrêmement horizontales.  Donc on intéresse tous les secteurs économiques. »

Ces applications pourraient bouleverser de nombreux secteurs d’activité parmi lesquels les banques et les assurances. « Bien entendu les banques ont un intérêt bien particulier. Ce qui intéresse les banquiers notamment c’est d’avoir des bulletins de paie certifiés, d’avoir des factures certifiées. Et d’avoir des factures clients certifiées comme justification de domicile. Ça intéresse aussi les assureurs et toutes les professions qui ont besoin de connaître leurs clients de manière précise et d’avoir des preuves d’adresses. On est le maillon manquant entre tous ces opérateurs. », analyse Laurent Henocque. Les enjeux sont colossaux pour les acteurs concernés et ceux-ci sont bien déterminés à ne pas rater la prochaine révolution de leurs métiers.

Mais Keeex ambitionne également de révolutionner la vie quotidienne en rendant cette technologie accessible à tous : « Notre application est gratuite pour les particuliers. On peut donc l’utiliser pour son usage personnel. N’importe qui peut prendre une photo  d’une voiture de location avant de commencer à rouler avec, où d’un appartement pour faire un état des lieux… Et c’est libre d’utilisation ».

Et concernant la pérennité de la Blockchain dans le temps Laurent Henocque est affirmatif : « Ce qu’il faut que les gens comprennent, c’est que la Blockchain de Bitcoin, elle existe pour l’éternité. Parce que tout ce qui est sur Internet est archivé. En plus la Blockchain est déjà répartie sur un très grand nombre de sites. Donc c’est une structure de données qui ne disparaîtra jamais. Son histoire ne peut pas être réécrite, que ça continue ou que ça ne continue pas ». Des documents certifiés, gravés pour l’éternité, la promesse est alléchante.

Créateur de confiance numérique

Face à l’afflux toujours plus grand de données, la question aujourd’hui n’est plus leur accessibilité mais la confiance qu’on peut accorder à ces informations. C’est la réponse à cette question si fondamentale qu’apporte Keeex : « En fait, ce qu’on fait nous à Keeex, notre métier, c’est de reprendre la question de la confiance par le bas, par les données. Parce que la confiance dans les données finalement, elle est trop souvent laissée de côté, y compris dans un domaine qui est très très actif aujourd’hui qui est IoT (Internet des objets). Les gens parlent beaucoup d’infrastructures, de comment on fait, comment on transporte les informations, mais trop peu de savoir quelle est la confiance que l’on peut avoir dans des données produites par un device ». La Blockchain permet de créer de la confiance sans l’intervention d’un tiers, qui est remplacé par la cryptographie : « Les signatures purement numériques, comme celle que permet Keeex, et celles qui sont présentes dans les Blockchains fournissent une chaîne de cryptographie complète qui va de l’émetteur jusqu’au récepteur, qui prend en compte l’intégrité des données. Et qui sont réputés inattaquables aujourd’hui ».

Keeex, la confiance passe par l’éthique

La particularité de Keeex, c’est une éthique claire et sans détour concernant les données personnelles des utilisateurs, chose rare dans l’univers du Web : « il y a pas mal d’acteurs de notarisation Blockchain qui restent sur des modèles classiques. C’est à dire de notariser vos données gratuitement ou presque mais le jour où vous allez avoir vraiment besoin de la preuve, vous allez devoir payer pour avoir le certificat. Ils sont sur des modèles de captation, nous on est sur un modèle dont l’éthique est très forte qui laisse les données à l’utilisateur. »

En ces temps de dérives, où  les géants du Web se disputent l’acquisition des données personnelles, les français prennent le contrepied de cette tendance « On se positionne de plein pied face aux géants, donc les GAFAM ( Google Apple Facebook Amazon Microsoft ), dont le modèle économique est un modèle de captation. Avec Keeex, aucun tiers n’a la possibilité d’exploiter ni les données, ni les meta données. Nous, voulons redonner le pouvoir aux utilisateurs sur leurs données. On permet aux gens d’échanger de manière confidentielle sans que ça transite par des serveurs centralisés. De la même manière, on permet aux gens d’attester des identités de manière sociale, c’est à dire sans une structure pyramidale de certification où il y a des interventions humaines en cascade, en sachant que c’est un système qui est extrêmement faillible. »

Concrètement, ChatOps, « c’est un « chat » qui ne centralise pas les données, qui ne donne aucun accès à un tiers extérieur, ni même à nous, sur ce que font disent, échangent les utilisateurs. Donc c’est une éthique extrêmement forte, on laisse les données sous leur entier contrôle, et c’est vrai pour les entreprises comme pour les particuliers. Au CES Las Vegas on disait qu’on était un peu le « Telegram » pour le business. Parce que les données ne sont accessibles à aucun tiers en dehors des intervenants. ».

 

L’avenir semble prometteur pour Keeex. Laurent Henocque peut voir les choses en grand : « On va sans doute devoir déménager de la pépinière car on devient trop nombreux. On a une ambition dévorante, on peut et on doit devenir un acteur mondial des données sécurisées ». Vous allez nous manquer à la Belle de Mai, mais c’est tout le mal que l’on vous souhaite.

 

(1)le web sémantique c’est permettre à des programmes d’interagir

Michel Taccola

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