Etat des lieux de l’économie numérique en 2013 : usages, emploi et promesses

mutation
Écrit par Kunckler Florian

Triste oubliée du programme gouvernemental investissements d’avenir (PAI) – seulement 5% des sommes engagées alors que le « grand emprunt » en consacrait 13% en 2009 – , le numérique est pourtant loin d’être un pan endormi de l’économie. Petit tour d’horizon des usages, de l’emploi et des perspectives d’un secteur toujours très prometteur.

S’intéresser à l’économie numérique, c’est avant tout faire un tour du côté des équipements et des usages. Que disent les chiffres ? Le Baromètre de l’économie numérique réalisé par l’Université Dauphine dresse chaque trimestre depuis 2011 un état des lieux du secteur. Pour sa 7e édition, les chiffres présentés sont particulièrement révélateurs. On y apprend qu’au 2e trimestre 2013, 77% des foyers français sont équipés d’un micro-ordinateur, que la quasi totalité de ces foyers sont aussi connectés à internet (à 0,1% près) et ce, de la meilleure des façons, puisque 72% possèdent une connexion à haut débit.

Des chiffres très intéressants également du côté des tablettes et des TV connectées. Avec 21% et 17% des foyers équipés, elles sont encore loin de faire l’unanimité. Mais l’évolution de ces chiffres – en les comparant au 1er trimestre 2013 – est très révélatrice et montre une nette progression : + 7,7% pour la TV connectée et surtout + 16,9% pour les tablettes, ce qui fait près de 850 000 nouvelles acquisitions en seulement un trimestre !

Les supports numériques continuent ainsi de s’implanter dans les foyers français. Qu’en est-il alors des usages ? La France compte 79% d’internautes, dont la quasi-totalité serait inscrit sur un réseau social (75%, soit près de 31 000 000 d’individus). Constat plus mitigé du côté du commerce en ligne : seuls 33% des français affirment avoir réalisé un achat en ligne au cours du dernier mois du 2e trimestre 2013. Des chiffres particulièrement stables, apprend-on dans l’étude, puisque – période de Noël mise à part – peu d’évolution est à observer depuis la création du baromètre (+/- 2%).

Quant aux usages mobiles, ils sont eux aussi en constante progression. Si le taux d’équipement global ne bouge pas beaucoup depuis le début de l’année (+ 0,5% pour atteindre 83,5% des individus), les activités connectées sur mobile continuent, elles, d’avancer (+ 4,3% ; 55,3% du panel), tout comme les achats en ligne via un terminal mobile qui bondissent de plus de 10% en un trimestre (11,2%). Enfin, la proportion des utilisateurs mobiles possédant un smartphone continue elle aussi de croître : 61,2% des individus possèdent aujourd’hui un terminal et près de la moitié d’entre eux sont équipés du système d’exploitation Androïd.

Du côté des usages des administrations, l’Observatoire du numérique met plusieurs chiffres en avant concernant l’année 2012. Ainsi, la déclaration de revenus en ligne semble être un bon marqueur de l’adhésion des administrés à un service public sur internet. On est passé depuis 2009 de 7,4 millions d’utilisateurs à 12,15 millions en 2011. Quant à l’étude comparée à l’échelle communautaire des relations entre personnes privés et administrations sur internet, la France fait figure de bon élève puisqu’elle arrive en tête dans presque toutes les catégories étudiées et est bien au dessus de la moyenne des états de l’Union Européenne.

Enfin, du côté des usages des entreprises, sans surprise plus de 90% d’entre elles possédaient en 2010 une connexion haut débit. En revanche, seules 64% avaient un site web, ce qui place les entreprises françaises largement derrière leurs voisines européennes (71% en moyenne).

Économie numérique et emploi

Quittons le monde des usages pour nous intéresser directement aux emplois que génère l’économie numérique. Un dernier chiffre : seuls 15% des employés des entreprises françaises sont des spécialistes des TIC, ce qui place la France derrière la moyenne européenne (près 21%).

Le numérique peut-il, oui ou non, re-dynamiser l’emploi ? Dur de trancher tant les avis divergent sur la question. Si beaucoup d’études – à relativiser car commandées pour la plupart par les géants du web soucieux de promouvoir leur activité – montrent des chiffres particulièrement prometteurs (Facebook parlait en 2012 de 230 000 emplois qui auraient été générés par son « écosystème » en Europe [1]), certains spécialistes sont moins optimistes.

Ainsi, le journaliste Hubert Guillaud explique sur internetactu.net : « Certes, l’internet commence à devenir une industrie à part entière, même si ses visages sont multiples. Car, comme l’explique Henri Verdier, président de Cap Digital : le numérique n’est pas une filière industrielle parmi d’autres. » Une filière à part sur laquelle il faut compter évidemment. Ne serait-ce que pour la nuée de start-ups que le secteur génère et qui sont, sans le moindre doute, un des visages de la création d’emploi.

Mais le spécialiste relativise : « Les start-ups ne créent d’emplois dans leur pays d’origine que pour un nombre relativement restreint de personnes hautement qualifiées. C’est pourquoi, comme le souligne Andy Grove, le taux de chômage de la Silicon Valley est en réalité plus élevé que la moyenne nationale américaine. » En somme, on pense le numérique dans nos bureaux, mais on manufacture encore et toujours ailleurs.

Ainsi, prenons le cas d’Apple aux États-Unis. L’entreprise à la pomme employait en 2012 près de 43 000 personnes dans ses bureaux américains contre 230 000 à Foxconn City, en Chine, où sont assemblés ses produits. « On est bien loin des 400 000 Américains qu’employait General Motors dans les années 50, pour comparer avec un des symboles de l’industrialisation américaine d’une autre époque. En d’autres termes, Apple fournit 10 fois plus de travail en dehors des Etats-Unis que dans les Etats-Unis. », complète Hubert Guillaud en citant David Gewirtz sur Zdnet.

Il faudra accompagner les perspectives prometteuses du numérique d’une vraie réflexion autour des choix de production pour les produits manufacturés et des business models pour les applications. « Bien que les Américains soient parmi les travailleurs les plus instruits dans le monde, le pays a cessé de former des personnes au niveau de compétences intermédiaires, celles dont les usines ont besoin. » s’inquiète le journaliste.

L’avenir de l’économie numérique : robotisation et imprimante 3D

« C’est peut-être difficile à croire, mais avant la fin de ce siècle, 70 % des emplois d’aujourd’hui sera remplacé par l’automatisation .» Voilà la chimère prophétisée par Kevin Kelly dans un article pour le magazine Wired intitulé : meilleurs que les humains : pourquoi les robots vont (et doivent) prendre votre job [2]».

Encore une tendance qui fait couler de l’encre. La robotisation à marche forcée serait induite par une deuxième vague d’innovation technologique dans le secteur, à savoir, « la cognition artificielle, les capteurs bon marché, l’apprentissage automatique et l’intelligence distribuée. » Elle toucherait principalement les travaux les plus manuels (travail en usine historiquement, en entrepôt plus récemment), dans un premier temps.

Car la nouvelle génération de robots a déjà prouvé qu’elle était également capable de remplacer certains travailleurs en col blanc. Du robot-journaliste au robot-chirurgien. Et même dans le social, puisque certains robots d’assistance aux personnes âgées sont en ce moment à l’étude. « Tout travail de paperasserie pourra à termes être remplacé par un robot », complète Kevin Kelly.

Quant aux craintes (légitimes) que ces mutations potentielles inspirent, le spécialiste propose une vision très optimiste : « Ce n’est pas une course contre les machines. Si nous luttons contre elles, nous perdrons. Il s’agit d’une course avec les machines. Vous serez payé à l’avenir en fonction de la façon dont vous travaillez avec les robots. […] Laissons les robots prendre nos emplois et laissons-les nous aider à imaginer les emplois qui compteront demain. »

D’autres sont plus réservés. À l’instar d’Erik Brynjolfsson et d’Andrew McAfee, qui expliquent dans– dans Rage Against The Machine que l’accélération de l’innovation se produit à un rythme que bon nombre de travailleurs ne sont pas capable de suivre. « Cela ne signifie pas que l’humain est devenu obsolète. Au contraire, certaines compétences humaines sont devenus plus en demande que jamais. Cependant, d’autres compétences ont perdu beaucoup de valeur alors que certaines sont devenues inutiles. »

Autre  secteur très en vogue : les imprimantes 3D. « Révolution : l’imprimante 3D, la machine à vapeur du XXIe siècle ? », titrait en 2012 le site Rue 89. Qu’en est-il réellement ?

On a beaucoup lu que la démocratisation de cette technologie était proche, que son impact pourrait toucher tous les domaines, de la création et de l’industrie, jusqu’au médical. Avec pour chaque secteur, déjà, son lot de controverses : autour de la production d’armes à domicile ; autour du « bio-printing », de la création d’organes et des cellules souches du côté de l’éthique médicale.

On parle moins, en revanche, de la question des DRM [3], autrement dit des moyens que l’on mettra en place pour empêcher le partage libre des fichiers numériques permettant l’impression 3D, sous couvert de protection des brevets. [4]

On a surtout lu qu’économiquement, on serait face à un nouvel eldorado. Ainsi, les États-Unis auraient, par exemple, déjà investi 30 millions d’euros dans le secteur et Barack Obama lui même aurait déclaré : «  L’impression 3D a le potentiel pour révolutionner la manière dont nous fabriquons presque tout ».

C’est justement sur cet autre impact que certains préfèrent mettre l’accent : sur la manière de fabriquer. Ainsi, Philippe Silberzahn présente sa vision de la révolution de l’impression 3D : « le mouvement des makers [5] remet en avant deux des dimensions du travail : la dimension subjective – le plaisir de faire – et la dimension collective – le plaisir de faire ensemble. […] Pour paraphraser Pierre-Yves Gomez [6], la grande entreprise, par son obsession de la performance et de la mesure, a étouffé les deux dimensions subjective et collective du travail. Chez les makers, la pensée et l’action, individuelle et collective, se rejoignent, et l’action est à nouveau source de nouveauté et de création. […] C’est sans doute là le véritable aspect révolutionnaire du mouvement et de la technologie d’impression 3D sur laquelle il s’appuie. »

Culture et économie numérique : quel avenir pour les industries créatives à l’ère des objets média numérique ?

Dans cet autre secteur complètement chamboulé par l’omnipotence du numérique qu’est la culture, subsistent encore aujourd’hui plus d’interrogations que de vraies certitudes. Une seule chose semble évidente : on est bien face à un secteur en pleine mutation. Car s’il subsiste des industries dites « traditionnelles » de la culture, elle sont largement remises en question par les nouveaux paradigmes issus des usages sur internet.

« La déstabilisation des économies traditionnelles de la musique, la presse, la photographie ou le livre est avérée pour les entreprises du secteur comme pour la rémunération des artistes. On n’a pourtant jamais autant lu, vu de films, écouté de musique, pris de photographies et Internet semble avoir contribué à résoudre l’équation récurrente de la démocratisation de la culture », oppose Pierre-Jean Benghozi, Président du GIS Culture Médias & Numérique.

Ainsi, on pourrait vulgariser un des points majeurs de cette problématique complexe par un paradoxe simple : la culture n’a jamais été aussi accessible ; pourtant les producteurs de biens culturels n’ont jamais eu autant de mal à trouver une formule rentable.

Quels sont donc ces nouveaux enjeux auxquels la culture va devoir faire face ? Existe-t-il déjà une économie de cette culture numérique ? Quels sont les nouveaux usages, les nouveaux services, les nouveaux modèles économiques … Tout le monde peut-il trouver sa place dans la nouvelle chaine de valeur de la culture ? Financement public, financement participatif, monétisation de la culture ? Autant de questions auxquelles les intervenants de la conférence Belle de mai sur l’économie de la culture numérique se proposent de répondre, ce mardi 19 novembre, au Pôle Média Belle de Mai.

Voilà pour conclure une dernière idée mise en avant par Pierre-Jean Benghozi ; idée qui pourrait bien donner du grain à moudre aux experts invités par le Pôle Média Belle de Mai : « Désormais, la concurrence tend moins à s’opérer sur le projet éditorial ou sur le choix des œuvres elles-mêmes que sur la manière de les mettre à disposition du public, la sophistication des formes de transaction et l’agencement des modèles d’affaires associés. » Avec l’avènement du numérique, la créativité dans l’univers de la culture va-t-elle se déplacer du fond vers la forme ?


[1] Citée par Hubert Guillaume sur internetactu.net. Par le Cabinet Deloitte : http://www.deloitte.com/view/en_GB/uk/industries/tmt/media-industry/df1889a865f05310VgnVCM2000001b56f00aRCRD.htm

[3] Digital Rights Management

[4] Lire sur ce point le sujet d’Alexis Kauffman sur Framablog : http://www.framablog.org/index.php/post/2012/10/17/drm-impression-3d

[5] Le mouvement des makers est issu de l’utilisation de l’impression 3D

[6] Dans son ouvrage « Le travail invisible »

Kunckler Florian

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Journaliste spécialisé dans les nouveaux médias et rédacteur web. Pour plus de détails sur mes travaux : http://www.doyoubuzz.com/florian-kunckler

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